En voilà un billet qui aura pris du temps ! En effet, cela fait maintenant plus de 6 mois que je m’interroge sur comment aborder le sujet, et plus précisément comment rendre hommage à ce qui constitue certainement, aujourd’hui encore, le meilleur cocktail que j’ai eu la chance de boire ces dernières années : le Persea Americana, sorte d’hybride entre un Manhattan et un Boulevardier, du Mabel à Paris. Je l’écris avec d’autant plus de conviction que depuis ce 29 avril (oui, j’ai retenu la date !), les opportunités n’ont pas manqué. De ma plongée en profondeur dans les fastes de Tales of the Cocktail, ou le test ces 12 derniers mois de plus de 100 bars à cocktails hautement réputés, de Paris à New York notamment, rien ne m’a jamais procuré autant d’émotions que ce soir-là. Bref, ce que je m’apprête à décrire est à coup sûr très personnel, mais je m’en voudrai de ne pas le partager. Alors le mieux est sans doute de se lancer, et de vous laisser en juger… 🙂
Vous l’aurez compris, je ne vais pas vous parler d’un bar aujourd’hui, pas directement du moins, mais simplement d’un cocktail de sa carte. Amer, corsé, sec, le Persea Americana aura titillé mon imagination dès sa description : Rye Whiskey Hudson à l’huile d’avocat bio, Cocchi Rosa, Punt E Mes, Cynar, Koval Rose Hip, Grapefruit-Mole Bitters. J’avoue ne pas comprendre ce qui a poussé Joseph Akhavan, le maître des lieux, à vouloir associer whiskey de seigle et huile d’avocat bio, mais qu’importe, si j’avais été Renée Zellweger et lui Tom Cruise dans une version mixologie de Jerry Maguire, nul doute que j’aurai prononcé la phrase « You had me at ‘Rye' » en passant ma commande 😉
Mais continuons plutôt. Le Persea Americana est un short drink, réalisé comme il se doit au verre à mélange, servi dans un verre de type Nick & Nora et garni d’un petit bouton de rose. C’est sobre, efficace, je suis déjà ravi à ce stade mais ne réalise en fait pas encore que tout ça n’est que bien peu de chose face à la dégustation qui va suivre. Au nez, les associations se font déjà et le bouton de rose relève le tout. Cette odeur familière me travaille comme jamais auparavant. Impossible de remettre la main (ou le nez) sur ce que tout cela m’évoque. Mais de toute évidence, que de bonnes choses. En bouche, le plaisir se prolonge. On en oublierait complètement cette première description d’amer, de corsé ou de sec… Le caractère épicé du rye est parfaitement balancé avec le reste. L’équilibre est là, c’est rond et on croirait déguster un bonbon. Et ce goût, et toujours cette odeur, qui m’enivre tout en m’évoquant des souvenirs que je n’arrive pourtant pas à définir. C’est juste parfait. Si parfait d’ailleurs qu’une fois le verre fini, l’expérience se poursuit.
Le fond du verre est toujours là, et je m’étonne à rester bloqué dans mon siège, près de 15 minutes à simplement sentir ce fond et profiter de ses effluves. Si le bar devait fermer, j’en partirai presque avec le verre vide pour pouvoir prolonger cet instant. A vrai dire, rien que de rédiger tout ça, c’est comme revivre l’émotion de cet instant six mois auparavant. Je n’avais jamais compris jusque là pourquoi tant de chefs insistent sur le mot « émotion » quand il conçoivent un plat. Déguster de bons cocktails, de très très bons même, j’avais fait évidemment, mais jamais je n’avais ressenti ce que ce Persea Americana a déclenché en moi. A l’instar d’un morceau de musique qui vous prend aux tripes et vient chambouler vos glandes lacrymales, c’est précisément l’expérience que j’ai vécue, mais simplement en buvant ! Ou si je devais trouver un exemple un peu plus nerdy, et qui parlera notamment à tous les fans de Star Wars (dont je ne fais pourtant pas partie), c’est un peu comme ce mashup avec Interstellar où Matthew McConaughey découvre supposément les premières images du nouveau film de la saga de George Lucas…
Pour conclure, « Cocktails are to be experienced » disait le regretté Sasha Petraske… Aussi, avec son Persea Americana, Joseph Akhavan est parvenu à me faire comprendre encore mieux ce que l’illustre fondateur de Milk & Honey voulait dire par là. Car si j’oublie un jour le nom de ce cocktail, ses ingrédients, ou même le service impeccable de Joseph (shame on me! si ça arrive), il restera à coup sûr une chose intacte : le souvenir de ce sentiment unique vécu ce soir-là. Merci !
Mabel – Cocktail Den & Rum Empire – 58 Rue d’Aboukir, 75002 Paris – www.mabelparis.com