Un peu plus d’un an et demi après leurs sorties, je dois avouer que les Suze Bitters occupent une place toute particulière dans mon home bar. Et ça n’est pas peu dire. En effet, avec notamment déjà plus d’une centaine de bitters en ma possession, j’ai beau chercher au gré de mes achats et autres dégustations, peu m’ont finalement laissé une telle impression, en particulier dans le temps…
Par exemple : Peychaud’s, Bittermens Xocolatl Mole et Abbott’s Bitters, voici trois produits que j’affectionne tout particulièrement, notamment pour la charge émotionnelle qui les accompagnent pour moi. Trois bitters et autant de révélations dans mes pérégrinations cocktailistiques de ces dernières années : que ce soit dans des Left Hand / Right Hand, un plus classique Manhattan ou des créas persos, ce trio est juste fantastique. Mais au delà de tout ça, si on prend les choses à froid, force est de constater, sans chauvinisme aucun, que Suze a très certainement frappé le plus grand coup dans le domaine depuis l’apparition du Regans’ Orange Bitters No. 6 (premier orange bitters digne de ce nom, conçu dans les années 1990 et sorti dans sa version actuelle en 2005) et du Xocolatl Mole (le bitters chocolat de référence, conçu en 2007) cité plus haut.
Depuis, les bitters ont connu un boom immense avec l’apparition de nouveautés à un rythme peut-être aussi soutenu que celui qui voit de nouveaux acteurs du gin ou de la vodka arriver sur le marché chaque mois. Mais cela avec une capacité de démultiplier les références sans commune mesure : de nouvelles marques se créent et dévoilent en des lapses de temps ultra réduits toute une panoplie d’arômes. Comme si Oasis ou Fanta nous sortaient 8 nouveaux goûts la même semaine en gros, histoire de s’assurer un max de visibilité dans les rayons…
Malheureusement, si on s’y plonge plus en profondeur, on peut regretter que la plupart ne sont soit que des tinctures légèrement « aromatic-isées » (ie. un ingrédient ultra dominant dans l’extraction et quelques épices / botaniques en plus pour la touche propriétaire, ou pour simplement justifier son prix), soit de simples bizarreries destinées à éveiller la curiosité, mais sans véritable intérêt pratique ou gustatif, comme si créés sans finalité cocktail en tête (autre que de se faire remarquer par des sites grands publics). Après tout, quand on en arrive à voir passer un crowdfunding pour des bitters à base de criquets, malgré le succès incontestable de la campagne et un écho média probablement record pour ce genre de produit, il y a a priori de quoi se poser des questions sur la pertinence réelle d’une telle création. Mais passons…
Dans ce contexte, pourquoi vouloir parler des Suze Bitters alors ? Parce que justement, alors que le marché peut légitimement paraître saturé, peu de bitters semblent vraiment (et légitimement) sortir du lot comme Suze a su le faire. Je m’explique.
Tout d’abord, comment se distinguer ? Pour pas mal de créateurs et comme évoqué plus tôt, il semblerait qu’il s’agisse avant tout d’une course pour proposer de nouveaux arômes, des choses inédites, quitte à frôler le ridicule. Comme dans d’autres domaines, c’est la mention « premier bitters à base de… » qui est malheureusement visée, comme si elle était un gage de qualité… De son côté, Suze n’a pas opté pour cette voie et a préféré se concentrer sur les 3 parfums les plus utilisés par les barmen : Aromatic (ie. Angostura), Créole / Red Aromatic (ie. Peychaud’s) et Orange (ie. Regans’). Alors évidemment, ils ne sont pas les premiers : Scrappy’s le fait, The Bitter Truth le fait, Fee Brothers le fait, … Bref, presque tout le monde le fait, à des degrés divers. Et pourtant, Suze l’a réalisé à un niveau qui le distingue, et de loin, de tous les autres.
Après tout, si bitters et gentiane font historiquement la paire, qui était alors plus pertinent pour sortir des bitters que Suze ? De son savoir-faire incontestable en la matière, il résulte des bitters équilibrés et d’une rare intensité. Un trait suffira ainsi amplement à transformer vos recettes préférées, là où on serait tenté d’y aller plus généreusement avec d’autres bouteilles pour obtenir l’effet escompté.
Ensuite, malgré un parti pris clair et transparent, Suze n’a pas cherché à copier les 3 parfums leaders. Que vous déteniez déjà ces derniers ou non d’ailleurs, les Suze Bitters trouveront parfaitement leur place sur votre station, comme autant de nouvelles interprétations de ce qu’on pense déjà connaître par coeur. Le choix d’y parvenir grâce à une triple collaboration avec 3 barmen des plus respectés en France (Fernando Castellon, Joseph Biolatto et Julien Escot), n’y est d’ailleurs certainement pas pour rien en offrant aux 3 produits une véritable personnalité.
Au delà de son apport au goût singulier de chacun de ces bitters (notes de degustations dispos plus bas), nul doute que cette collaboration s’est exprimée jusque dans le soin du détail, en particulier un qui pourrait paraître anecdotique mais qui est pourtant essentiel…
Je parle évidemment du dasher (oui, si bien qu’il mérite son propre paragraphe !). En effet, si vous avez un peu d’expérience avec ceux qui équipent les flacons de Fee Brothers notamment (grrr), vous comprendrez aisément où je veux en venir. L’aspect pratique n’a ainsi pas été négligé, loin de là, et c’est comme le jour et la nuit avec les autres bouteilles du marché. Ici, un trait est un trait, à une constance inégalée et, quand on manipule un produit aussi concentré, c’est bien la base de la consistence. Pour tout dire à ce sujet, je crois qu’au final, à part Suze, peu comme Don Lee semblent s’être sérieusement intéressé à la question, concrétisant la chose avec les excellentes DashDarts de Cocktail Kingdom (un dasher en aluminium que vous pouvez visser sur la plupart des bouteilles standards, Angostura et Peychaud’s notamment, pour leur offrir la consistence qu’elles méritent). Donc bravo, et merci !
Bref, vous l’aurez compris, ces bitters par et pour les barmen (mais pas que) méritent l’attention ! Et alors qu’ils étaient parmi les deux seuls bitters européens présents à Tales of the Cocktail cette année (!), espérons que nous Français ne soyons pas en passe de faire la même erreur d’appréciation que nous faisons avec la catégorie Cognac… L’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. Aussi, si vous êtes en train de vous constituer votre home bar, je ne saurai trop vous conseiller d’y jeter votre dévolu. La marque propose d’ailleurs un pack avec les 3 parfums, de quoi vous vous permettre d’assurer tous les classiques de la mixologie des années durant 🙂
Notes de dégustations :
- Aromatic :
- Robe : chaude acajou
- Nez : chaleur de la cannelle et de la cardamome associée au caractère de la gentiane
- Palais : force de la racine de gentiane associée à la chaleur des épices et à des notes subtiles et complexes de fruits et de plantes
- Orange :
- Robe : dorée
- Nez : caractère terreux de la gentiane fraîche enrobé de notes plus douces et miellées d’écorces d’orange et de bergamote
- Palais : signature franche de la gentiane accompagnée de notes gourmandes et chaudes de marmelade d’orange, de fruits et d’épices
- Red Aromatic :
- Robe : rouge éclatante
- Nez : fraicheur de l’anis soulignant un fond gourmand et chaleureux de notes fruitées et épicées
- Palais : amertume complexe de la gentiane adoucie par la cerise et l’orange. la finale en bouche est longue et fait apparaitre des notes d’anis et de menthe